Les phénomènes du burnout et de la numérisation ont connu simultanément un essor public remarquable – coïncidence ou lien de causalité ?
C’est exact, l’augmentation du nombre de diagnostics de burnout s’est produite assez précisément en même temps que l’avancée numérique. Il serait toutefois réducteur d’expliquer la forte croissance d’arrêts maladie de longue durée suite à des maladies psychiques par la seule numérisation. Les facteurs sociaux, les changements dans la politique des retraites et dans le diagnostic psychiatrique y ont également contribué. Cela dit, le monde du travail numérique présente assurément plusieurs risques tout à fait concrets, qui favorisent le développement de cas de burnout.
Par exemple ?
Les recherches en psychologie du travail montrent une forte corrélation entre notre bien-être au travail et nos besoins psychiques fondamentaux, comme par exemple le besoin de liens sociaux et d’acceptation. Si ces besoins ne sont pas satisfaits sur une longue période de temps, des symptômes chroniques favorisant le développement d’un burnout peuvent se manifester. En communication numérique, les signaux non verbaux propres aux entretiens manquent généralement. Ce qui peut par exemple conduire à une carence au niveau du besoin d’estime ou d’appartenance.
« Nous ne parvenons pratiquement plus à nous poser des questions comme : ces informations sont-elles vraiment exactes ? Sont-elles porteuses de sens ? Ou encore : sont-elles pertinentes pour moi ? »
Qu’est-ce que la numérisation fait à notre psychisme ?
La numérisation présente des aspects psychologiques et neurologiques tout à fait positifs. Une activité régulière sur internet favorise par exemple la créativité. Cependant, la sollicitation numérique permanente peut aussi nous distraire et nous déconcentrer. Avec des conséquences potentiellement négatives. Par exemple, notre perception peut devenir plus superficielle. A cela s’ajoute un certain risque de manipulation : lorsque nous vérifions la véracité d’informations tirées d’internet, nous avons tendance à être moins critique que dans le monde « réel ». En outre, le sens de la responsabilité collective disparait peu à peu, car les groupes d’intérêt deviennent plus petits et plus spécifiques.
Nous sommes tous exposés à un flux continu d’informations. Comment notre cerveau gère-t-il cette énorme quantité de sollicitations ?
Notre cerveau doit en permanence générer un sentiment d’orientation et un sens de la réalité à partir du grand nombre de sollicitations disponibles. Face à flot continu de nouvelles sollicitations notre pondération de l’information ne peut plus se faire que de manière superficielle. Pour être simplement en mesure de traiter toutes ces informations, nous sommes contraints de renoncer à un examen approfondi. Nos décisions se prennent de façon de plus en plus irréfléchie et nous ne parvenons pratiquement plus à nous poser des questions comme : ces informations sont-elles vraiment exactes ? Sont-elles porteuses de sens ? Ou encore : sont-elles pertinentes pour moi ? La conséquence est une multiplication d’erreurs et une aliénation croissante par rapport à ses propres ressentis et besoins.
« Une personne disposant d’un sens aigu des responsabilités et ne parvenant pas à respecter ses limites se retrouve rapidement en situation de surmenage. »
La numérisation permet de travailler partout et en tout temps. Bénédiction ou malédiction pour les employés ?
Cela dépend étroitement de la personnalité et de l’attitude générale face au travail. Pour composer avec cette flexibilité, nous sommes tributaires d’un certain nombre de conditions. L’autodiscipline joue un rôle clé. De nos jours, les employés doivent se débrouiller pour séparer travail et loisirs. Cette séparation est le plus grand défi de la numérisation. Une personne disposant d’un sens aigu des responsabilités et d’exigences élevées envers elle-même mais ne parvenant pas à respecter ses limites se retrouvera rapidement en situation de surmenage à tendance chronique.
Comment l’employeur peut-il prévenir le burnout ?
Le développement de la plupart des burnouts peut être attribué à une attitude malsaine à l’égard du travail. C’est pour cela que les « facteurs soft » revêtent une importance décisive dans le domaine de la prévention. Les supérieurs hiérarchiques doivent identifier, aborder et recueillir soucis et angoisses potentiels. Si quelqu’un craint par exemple de perdre son emploi parce qu’il pense que son rendement est insuffisant, il convient de l’informer en toute honnêteté de son impression extérieure et des points critiques. En même temps, il est important de souligner tout ce que l’on apprécie chez cette personne.
« L’attention se focalise souvent davantage sur les symptômes que sur les causes. Derrière un diagnostic de burnout, on retrouve fréquemment une situation de mobbing. »
Existe-t-il déjà des outils numériques pour la reconnaissance précoce d’un burnout ?
Oui, on trouve de plus en plus de tests en ligne. Chez PK Rück, nous sommes également en train de tester un tel outil. Les éléments déclencheurs de burnout sont évalués à différents niveaux. Cela inclut des facteurs stabilisateurs comme le sens du travail, le degré de contrôle et l’autodétermination ou encore l’engagement dans l’équipe. De tels tests permettent tout à fait d’établir des diagnostics différentiés. Etablir un diagnostic de manière numérique implique cependant également le risque de se contenter de preuves basées sur une liste de contrôle. Un test en ligne ne suffit pas à lui seul. Ce qui est important, c’est une compréhension globale – impliquant des entretiens, idéalement aussi avec l’environnement de travail de la personne concernée.
Le nombre de cas de burnout a fortement augmenté. Les diagnostics sont-ils établis trop précipitamment ?
Je pense que oui. Le problème vient du fait que l’attention se focalise souvent davantage sur les symptômes que sur les causes. Derrière un diagnostic de burnout, on retrouve fréquemment une situation de mobbing. Par ailleurs, il est plus facile de déclarer la personne concernée comme victime d’une surcharge de travail et de l’envoyer en thérapie plutôt que de résoudre un conflit d’équipe subliminal.
Andreas Canziani a terminé ses études de médecine en 1993 par un doctorat de l’Université de Zurich. Après avoir occupé des postes de médecin-assistant en psychiatrie et médecine interne ainsi que de médecin en chef à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich, il a ouvert son propre cabinet de médecine psychiatrique en 2000. Médecin-conseils SSMC et expert médical certifié SIM, il est spécialisé dans les questions de gestion de la santé d’entreprise, de stress et de prévention de burnout ainsi qu’en développement de l’entreprise. Andreas Canziani est actif comme conseiller-médecin de PK Rück depuis 2012.